7 octobre, un an après : regards croisés sur l’antisémitisme et l’islamophobie en France

La nouvelle étude de Destin Commun, 7 octobre, un an après, fondée sur une enquête quantitative et des groupes de discussion avec des Français de confession juive et musulmane, apporte un éclairage tout en nuance sur l’opinion des Français un an après les massacres du 7 octobre en Israël, qui ont déclenché l'embrasement du Proche-Orient. Cette étude bat en brèche la vision d’une France polarisée autour de ce conflit, et décrypte les perceptions, chez les Français dans leur ensemble mais aussi dans chacune des deux communautés concernées, vis-à-vis de l’antisémitisme et de l'islamophobie.

“Notre étude révèle que malgré un antagonisme irréconciliable au sujet du conflit israélo-palestinien, dans leur vie en France, Juifs et Musulmans partagent des craintes et des frustrations communes, et ne sont pas hermétiques aux préoccupations les uns des autres."

Laurence de Nervaux, directrice générale de Destin Commun.

Un an de conflit exacerbé n’a pas polarisé l’opinion française : une double empathie

L’étude menée par Destin Commun démontre que la guerre menée par Israël à Gaza à la suite des attentats terroristes du 7 octobre et qui se poursuit actuellement au Liban est loin d’avoir engendré une forte polarisation au sein de la société française.

  • 7 Français sur 10 n’ont pas choisi un camp contre l'autre, même si on observe une légère augmentation du soutien envers les Palestiniens (+ 4 points en comparaison de février 2024).
  • Près de 6 Français sur 10 (57%) déclarent que le 7 octobre a renforcé leur empathie à l’égard de la communauté juive, opinion majoritaire dans tous les électorats.
  • Dans le même temps, 63% des Français déplorent l'invisibilisation médiatique actuelle des victimes civiles à Gaza, opinion là encore majoritaire dans l’ensemble des électorats, à l’exception des électeurs du RN (49%).
  • 64% des Français considèrent qu’Israël a le droit d’exister en tant que patrie du peuple juif, et les deux tiers des Français qui déplorent l’invisibilisation des morts civils de Gaza reconnaissent aussi ce droit à l’Etat hébreu. Cette opinion progresse avec l’âge, mais ce ne sont que 34% des 18-24 ans qui y adhèrent.

Antisémitisme, islamophobie : des préoccupations distinctes mais majoritairement partagées par les Français 

Les Français partagent majoritairement une inquiétude pour les populations de confession juive et musulmane en France. Des distinctions importantes se dessinent néanmoins :

  • Les trois quarts des Français déclarent qu’ils seraient tout aussi ouverts à avoir des amis juifs (76%) ou musulmans (73%) que des amis d’autres groupes de la société française.
  • Une plus grande proportion de Français est préoccupée par l’antisémitisme (73%) et par le racisme (72%) que par l'islamophobie (61%), même si cette préoccupation reste très nettement majoritaire.
  • Un Français sur 2 considère que la France n’est pas un pays sûr pour les Juifs, et seulement 34% le pensent s’agissant des Musulmans. Près des deux tiers des personnes musulmanes (63%) considèrent que la France n’est pas un pays sûr pour leur propre communauté.
  • Une distinction fondamentale s'impose dans les manières de caractériser l'hostilité que peuvent rencontrer Juifs et Musulmans en France. Pour les Musulmans, il s’agit foncièrement de discriminations assimilées à du racisme, notamment dans le secteur professionnel, tandis que pour les Juifs, il s'agit davantage d'atteintes à l'intégrité et de risque sécuritaire.

C’est vrai qu’un Juif ne s’est jamais fait refuser un appartement !” (Jessica, juive, 37 ans)

Cette préoccupation liée à l’antisémitisme ou l’islamophobie n’empêche pas les Français de rester attachés à la liberté d’expression : plus de 70% des Français déplorent que toute critique envers les Juifs ou envers les Musulmans soient assimilée à de l’antisémitisme ou de l’islamophobie. Seuls les plus jeunes (18-24 ans) adhèrent majoritairement à une liberté d’expression encadrée pour éviter de heurter certains groupes. Dans les groupes de discussion, Juifs et Musulmans déplorent quant à eux des plaisanteries souvent “déplacées” à leur égard, qui alimentent selon eux un climat d’hostilité.

Un conflit qui amplifie les tensions communautaires en France 

Interrogés sur les causes de l’antisémitisme en France, les Français ne citent pas d’abord des discours politiques ou des dynamiques communautaires, mais plutôt des raisons géopolitiques : ils en tiennent pour responsable en premier lieu la politique de l’Etat d’Israël à l’égard des Palestiniens.

Après un an d'un conflit particulièrement meurtrier et polémique, il est notable que près de la moitié de nos concitoyens (48%) restent optimistes sur la capacité des Juifs et des Musulmans à coexister harmonieusement dans notre pays. Cette vision correspond à ce qu’ont exprimé lors les premiers concernés dans les groupes de discussion : hors des tensions liées au conflit au Proche-Orient, la cohabitation entre ces deux communautés semble globalement saine.

En tant que croyants, avec les autres religions, on est très proches, ce sont des personnes du Livre, des textes sacrés. Aucune religion ne dit de tuer ou de faire du mal.” (Amin, musulman, 40 ans)

A Marseille, les communautés vivent ensemble, il n’y a pas d'animosité particulière. L’antisémitisme, c'est monté par les médias, en vrai il ne se passe rien. Des fois les agressions ont lieu pour un vol de portable et pas pour des actes religieux…” (Floriane, juive, 40 ans)

Un an après le 7 octobre, paroles de Juifs et de Musulmans français

  • Un traumatisme majeur : chez les Juifs Français, le 7 octobre 2023, qui devait être « un jour de fête juive », a été un traumatisme majeur, révélant le lien affectif fort voire charnel qu’ils entretiennent avec Israël (« C’est de l’amour ! »). Décrit comme une « Shoah bis », cet événement a réactivé un sentiment de menace existentielle exprimé clairement par une peur de disparaître. Très connectés aux médias israéliens, les Juifs français ont embrassé le narratif de guerre de l’Etat d’Israël et justifient ses agissements, y compris les développements actuels au Liban, tout en reconnaissant que la situation à Gaza leur évoque « l’apocalypse », expression biblique suggérant en creux l’idée d’un châtiment.
  • Une empathie affaiblie par un sentiment d’injustice pour les Musulmans français : les Musulmans français expriment une réelle empathie à l’égard des Juifs au regard des massacres du 7 octobre, mais leur compassion est étiolée par l’asymétrie du rapport de force dans le conflit. De nombreux Musulmans s’identifient aux Palestiniens du fait du sentiment d’une histoire coloniale partagée et d’une communauté de foi, d’une même « relation à l’Éternel ». Ils déplorent par ailleurs le développement d’un sentiment anti-musulman en France qu’ils assimilent à du racisme, et à l’invisibilisation historique de la cause palestinienne hors des périodes de conflit ouvert.
  • Manipulation étrangères - entre confusion et biais de confirmation : défiants à l’égard des médias, lorsqu’ils sont confrontés aux épisodes de manipulation étrangère autour de symboles antisémites (tags d’étoiles bleues dans les rues de Paris en novembre 2023 puis de mains rouges au Mémorial de la Shoah en mai 2024, orchestrés dans les deux cas par la Russie), les Juifs français y voient une confirmation de leur vision d’une augmentation de l’antisémitisme en France, et peinent à faire une distinction entre des actes antisémites et des entreprises de manipulation.

“Alors que la violence ne cesse de s’amplifier au Proche-Orient, divers acteurs s’emploient à attiser en France les tensions importées de ce conflit. L’agitation des peurs et des frustrations prend appui sur une anxiété sécuritaire voire existentielle d’une part, et sur un historique de discriminations de l’autre. Il nous appartient néanmoins d’identifier ces entreprises de manipulation et de déstabilisation pour ce qu’elles sont, qu’elles soient internes ou étrangères, et de nous attacher à la solide expérience de cohabitation pacifique développée par les Juifs et les Musulmans aux quatre coins de la France.” 

Laurence de Nervaux, directrice de Destin Commun