« On est trop petits. C’est comme quand on va à la boucherie ou à la CAF, on prend un numéro et c’est tout. » Anne, 48 ans, Villers-lès-Nancy (Identitaires)
Retrouvez l'étude complète "Dans la tête des abstentionnistes : à l'écoute de ceux qui se taisent"
“L’abstention est souvent résumée à un pourcentage : tout l’intérêt des études qualitatives, c’est de donner à voir des visages, des parcours de vie, des façons de raisonner. Nous avons voulu entrer dans la tête des abstentionnistes : qu’est-ce qui les inquiète, qu’est-ce qu’ils regardent à la télévision, quelles personnalités les inspirent ? En sondant les valeurs, la culture et l’imaginaire, cette étude dépasse l’approche socio-démographique traditionnelle pour renouveler le regard sur les abstentionnistes”, explique Raphaël LLorca, co-auteur de l’enquête et expert associé à la Fondation Jean-Jaurès.
Les 4 grandes raisons de l’abstention : loin d’un désintérêt pour la politique
Pour expliquer l’abstention, on peut distinguer d’une part les critiques à l’encontre de la politique en tant que système vs. du personnel politique, et d’autre part les critiques sur la finalité de l’action politique vs. celles sur la forme et les moyens. Quatre types de raisons apparaissent ainsi : la perte de foi (impuissance de la politique, inutilité du vote) et le fossé (distance et manque de sincérité des politiques), qui sont les plus citées, mais aussi les carences démocratiques (freins administratifs, manque d’information) et l’ethos des politiques (agressivité, politique-spectacle).
« On a l’impression que c’est la stratosphère qui prend la décision, qu’ils sont dans leur petit monde, sur leur petit nuage, et que ça nous tombe dessus. » Constance, 30 ans, Vendeuil-Caply (Stabilisateurs)
« Ces élections, c’était vraiment “Le Muppet Show”. On se fout ouvertement de notre gueule et ça se voit. » Christine, 44 ans, Nantes (Militants désabusés)
Autre cause profonde de l’abstention : un rapport dégradé aux médias et à l’information. Entre overdose et dépendance vis-à-vis de la télévision, les abstentionnistes expriment une forme d’angoisse face à une offre médiatique pléthorique et considérée comme “orientée”. In fine, ils se tournent vers leurs proches pour se forger une opinion, et préfèrent regarder des émissions d'infotainment, dans un rapport plus léger et sarcastique à la politique.
« Les journaux, c’est un tissu de mensonges. Je recoupe. »
Yannick, 43 ans, Courbevoie (Identitaires)
« Beaucoup de débats, mais pas de fond, des opinions, mais peu d’analyses. »Basile, 25 ans, Lyon (Libéraux optimistes)
“Contrairement aux idées reçues, l’abstention n’est pas forcément le marqueur d’un désintérêt total pour la politique. Elle témoigne surtout d’un sentiment de déconnexion de la classe politique. Entre le micro de leurs soucis quotidiens et le macro perçu comme complexe et distant, il faut absolument redonner aux gens la vision de ce que l’action publique produit, concrètement, à l’échelle de leur territoire“, analyse Laurence de Nervaux, co-autrice de l’enquête et directrice du laboratoire d’idées et d’actions Destin Commun.
Dans la tête des abstentionnistes : au pays du malaise et du repli
“Frustré”, “sur un fil”, “incertain”, “perdu”... C’est ainsi que les abstentionnistes se décrivent eux-mêmes. Ce grand malaise est alimenté par une peur de l’avenir et un sentiment de complexification du monde qui nourrit une profonde défiance. Incertitude, complexité, impuissance : telles sont les trois composantes d’une nouvelle équation de la contestation déjà identifiée par Destin Commun3, et qui prend ici la forme de l’abstention.
C’est aussi un grand repli qui caractérise ces abstentionnistes. Entre retrait, échappée, cocon ou recherche d'alternatives, l’enquête identifie les différentes façons de mettre à distance la société.
“ On me fait le reproche de vivre dans ma bulle, de ne plus m’intéresser à rien, mais quand le monde tourne autour de moi sans se préoccuper de moi, pourquoi est-ce que je me préoccuperais de lui ? » Henriette, 63 ans, Nîmes (Laissés-pour-compte)
Une nouvelle typologie des abstentionnistes
De l’abstention-sanction jusqu’au fait de déchirer sa carte d’électeur, et de la culpabilité au retrait assumé, tous n’ont pas le même rapport à l’abstention. Six profils se dessinent, à partir des groupes de valeurs identifiés par Destin Commun4 :
- Identitaires : la défiance généralisée
- Libéraux optimistes : les primo-abstenants exigeants
- Stabilisateurs : les modérés lassés
- Militants désabusés : la douloureuse désillusion
- Attentistes : du détachement au renoncement
- Laissés pour compte : les abandonnés abandonnent
L’environnement, une opportunité de réengagement ?
Sur ce défi majeur, un constat positif : les abstentionnistes ne sont pas moins sensibles à la question climatique que la moyenne des Français, et expriment de fortes attentes vis-à-vis de la politique sur ce sujet. La transition écologique peut donc être un vecteur de réengagement, à condition d’adopter une posture d’encouragement plus que de culpabilisation, et d’intégrer l’écologie à leurs préoccupations, notamment le pouvoir d’achat et la santé.
« Je pourrais être amené à voter pour un candidat écolo, au moins à l’échelle locale. » Yazid, 25 ans, Lyon (Stabilisateurs)